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Enervé de Service
1 juillet 2010

Mon Affaire Woerth à moi

Nouveau mois, nouveau billet. Eh oui, il y a longtemps que je ne vous avais pas assommés avec mes vérités toutes prêtes et mes jugements tout faits. Il faut dire aussi que  vous aviez certainement d'autres choses à lire, car l'actualité ne nous a pas épargnés ces temps-ci, jugez plutôt:

  • Guillon et Porte virés de France Inter,
  • Woerth soupçonné de prévarication, des députés réclament la création d'une commission d'enquête, mais
  • non sans avoir au préalable auditionné l'entraîneur Domenech dans le cadre de la Commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale. Oui, vous avez bien lu: culturelles. Maintenant, en France, le foot c'est de la culture. C'est Mitterrand qui va être content: quitter le Pavillon Médicis pour se récupérer les crétins en bleu, vache de brocante! J'ai toujours su que j'étais inculte. Au fait, c'est quoi, le féminin d'entraîneur?

De toutes ces affaires, je n'en ai retenu qu'une seule, qui me touche de près. En effet, nous avons, à notre minuscule échelle bien sûr, notre mini-affaire Woerth à nous au labo. Après tout, il n'y a pas de raison pour que ce soient toujours les mêmes qui s'amusent. Je revendique, moi aussi, le droit d'accès (à ma modeste échelle bien entendu) à cet acquis social qu'est l'affaire de type Woerth. A savoir un gracieux mélange des genres, un léger conflit d'intérêt et une minuscule propension à le nier, assortie d'une infime persistance à ne pas voir où est le problème. Voyez plutôt.

  1. Vous le savez sans doute, il y a dans les disciplines scientifiques non seulement de moins en moins d'étudiants, mais aussi de moins en moins de bons étudiants; ce n'est de toute manière pas si grave, car il y a également de moins en moins de bourses de thèse pour les quelques-uns qui veulent encore faire de la recherche.
  2. Dans ce contexte, l'Ecole Doctorale à laquelle j'appartiens a mis en place, pour l'attribution des bourses MRT, un système extrêmement complexe de préselection des sujets et des candidats par les labos, puis de soutenance extrêmement brève (genre moins de 5 minutes) des impétrants devant une commission constituée on ne sait pas trop comment. La seule chose qu'on sache, c'est que l'ED englobe tellement de domaines qu'il y a une chance infime pour que les gens de la commission soient vraiment compétents dans les domaines de recherche de mon labo. Au final, le véritable critère de sélection des étudiants est: quel était leur classement dans le Master Recherche local? Et si vous n'êtes pas premier, vous êtes foutu.
  3. L'année dernière, deux collègues à moi, que nous appellerons Bien-Gentil et Jeunot, avaient proposé un sujet et avaient trouvé un candidat, que nous appellerons Létranger. Ceci parce que Létranger ne venait pas du Master Recherche local, mais d'une autre université. Létranger était bon, mais a été recalé lors de l'examen de l'ED car la politique était ouvertement de favoriser des candidats locaux.
  4. Très motivé par le sujet de Bien-Gentil et Jeunot, Létranger a accepté de perdre un an et de s'inscrire dans le Master Recherche local, afin de pouvoir concourir à armes égales sur le sujet qui lui tenait à coeur. Il y a bien un petit problème, ni Bien-Gentil ni Jeunot n'ont d'Habilitation à Diriger des Recherches (HDR) et ne peuvent donc endosser la direction de la thèse, mais mon directeur de labo, bonne âme, était d'accord pour se dévouer (sachant que bien que ne faisant plus de recherche depuis plus de 10 ans, il aime bien voir son nom sur un max de publis...)
  5. Donc, Létranger s'inscrit, passe les exams du Master Recherche local, et finit... major. Ce qui fait a priori de lui le récipiendaire quasi inévitable de la bourse de thèse (car probablement il n'y en aura qu'une) qui sera attribuée au labo.
  6. C'est là que ça se gâte. Les formalités de dépôt des sujets de thèse de l'ED approchent... Bien-Gentil et Jeunot envoient un e-mail au directeur de thèse potentiel pour lui rappeler qu'il doit effectuer un certain nombre de formalités (se connecter sur le site de l'ED, entrer un identifiant, des mots-clés, approuver le sujet, etc...). Pas de réponse. Un peu plus tard, nouveau mail de rappel. Pas de réponse. Troisième salve. Toujours rien.
  7. Ils finissent par trouver ça louche et, comme la date de clôture de dépôt des sujets approche, ils parviennent à coincer le directeur lors d'une de ses (désormais très rares) appartitions au labo. S'ensuit une conversation un peu alambiquée, où ils s'aperçoivent que le directeur s'appelle Brutus, car il leur a planté un joli couteau dans le dos. En fait,
    1. il n'a plus du tout l'intention de diriger leur sujet de thèse, car
    2. il a accepté d'en encadrer un autre, concurrent, pour le compte de deux autres personnes, que nous appellerons Calimero et Nez-Dans-Le-Guidon, sachant que
    3. Calimero s'appelle comme ça car notoirement connu pour pleurer partout qu'il n'a pas de temps pour faire de la recherche, moyennant quoi on lui a accordé par pitié 4 bourses de thèses (dont aucune publi n'est encore sortie après bientôt 3 ans)
    4. Nez-Dans-Le-Guidon ne fait attention à rien d'autre qu'à a recherche et n'était absolument pas au courant que Brutus avait déjà promis son encadrement à d'autres personnes.
    Voilà donc Bien-Gentil et Jeunot sans personne pour porter leur sujet.
  8. Je vous rassure: un collègue a entendu parler du problème. Il s'est porté volontaire pour servir de directeur de thèse pendant 1 an, le temps que Bien-Gentil passe son HDR (il doit avoir sur son CV une soixantaine de publications et presque autant d'encadrement de stagiaires et de DEA, ça ne posera pas de problème). Létranger est donc momentanément sauvé.
  9. Sauf que maintenant, il faut préparer les 4 ou 5 minutes de soutenance qui vont avoir lieu devant la commission de l'ED. Et répéter. C'est là que Calimero sort du bois. Calimero est membre d'un machin sans existence statuaire, appelé "Conseil scientifique" du labo. Ce conseil ne sert à rien, sinon à donner à Brutus un confortable sentiment de chambre de résonance. En effet, tous les membres du conseil ont été nommés par Brutus, et ce sont tous des cadres B, c'est-à-dire qu'ils ont un poids scientifique faible, donc une capacité à la contestation quasiment nulle.  Ce conseil fonctionne de la façon suivante: Brutus a une idée tout seul dans son coin; il la soumet au conseil scientifique, qui pour cause de légitimité et poids décisionnel insuffisants, l'approuve à l'unanimité [1]. Calimero lance une initiative: tous les étudiants de Master Recherche qui vont plancher devant l'ED doivent être auditionnés par le conseil scientifique du labo.
  10. C'est là que ça se complique. Bien-Gentil et Jeunot envoient un message à tous en précisant que c'est ok, mais seulement sous certaines conditions: comme il y a un conflit d'intérêt potentiel assez flagrant (sur 4 étudiants postulant à l'ED, 3 ont des directeurs ou encadrants de thèse membres du conseil scientifique - seuls Bien-Gentil et Jeunot n'y sont pas!), les membres du conseil scientifique qui soumettent des candidatures ne devraient pas assister à ces présentations.
  11. Réaction outragée de Brutus: "Ne sombrons pas dans une paranoïa excessive" ; "franchement, est-ce que nous avons une tête à favoriser des conflits d'intérêt?"; ou encore "nous risquons, par un formalisme excessif, de nous diviser sur des étudiants qui par ailleurs vont manger ensemble tous les midis". NB. C'est faux: la compétition exacerbée sur les bourses de thèse fait que plus aucun étudiant ne parle aux autres, tout le monde s'évite, et quand ils vont au Resto U, c'est chacun de son côté.
  12. Réponse de tous les membres du conseil scientifique nommés par Brutus (sauf un: Calimero): nous admettons qu'il y a conflit d'intérêt potentiel et annulons le passage des acndidats devant le conseil scientifique.
  13. Sur le plan anecdotique, réaction de Brutus: vous faites bien comme vous voulez; moyennant quoi je maintiens qu'il n'y a pas de conflit d'intérêt. Je n'ai pas le temps de m'occuper de vos histoires, car je suis en ce moment occupé à sauver mon EPST de tutelle du désastre.

Ce ne sont que les grandes lignes de l'affaire. Je vous passe les détails, car sur le plan anecdotique c'était nettement plus croustillant et riche en tirades mélodramatiques que mon pauvre exposé factuel. Là où notre Affaire Woerth locale l'emporte sur l'Affaire Woerth nationale, c'est d'une part que nous connaissons les protagonistes, et que d'autre part la rue semble - momentanément du moins - l'emporter.

Mais ce n'est peut-être que momentané. Le verdict véritable sera rendu la semaine prochaine par l'école doctorale. Et comme, contrairement à Brutus, Bien-Gentil et Jeunot n'y comptent aucun ami... Je vous tiendrai au courant, c'est promis.

[1] N'importe qui de sensé dirait: "c'est une farce, une parodie de démocratie". Il ou elle aurait raison. C'est sans doute la raison pour laquelle l'Aeres a trouvé ça très bien.

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